
Réalgar, barytine et quartz, Pérou
"De tout temps, on a recherché non seulement les pierres précieuses, mais aussi les pierres curieuses, celles qui attirent l'attention par quelque anomalie de leur forme ou par quelque bizarrerie significative de dessin ou de couleur. Presque toujours, il s'agit d'une ressemblance inattendue, improbable et pourtant naturelle, qui provoque la fascination. De toute façon, les pierres possèdent on ne sait quoi de grave, de fixe et d'extrême, d'impérissable ou de déjà péri. Elles séduisent par une beauté propre, infaillible, immédiate, qui ne doit de compte à personne. Nécessairement parfaite, elle exclut pourtant l'idée de perfection, justement pour ne pas admettre d'approches, d'erreurs ou d'excès. En ce sens, cette beauté spontanée précède et déborde la notion même de beauté. Elle en offre à la fois le gage et le support.
C'est que les pierres présentent quelque chose d'évidemment accompli, sans toutefois qu'il y entre ni invention ni talent ni industrie, rien qui en ferait une œuvre au sens humain du mot, et encore moins une œuvre d'art. L'œuvre vient ensuite ; et l'art ; avec, comme racines lointaines, comme modèles latents, ces suggestions obscures, mais irrésistibles.
Ce sont avertissements discrets, ambigus, qui à travers filtres et obstacles de toutes sortes rappellent qu'il faut qu'il existe une beauté générale, antérieure, plus vaste que celle dont l'homme a l'intuition, où il trouve sa joie et qu'il est fier de produire à son tour. Les pierres ― non pas elles seules, mais racines, coquilles et ailes, tout chiffre et édifice de la nature ― contribuent à donner l'idée des proportions et lois de cette beauté générale qu'il est seulement possible de préjuger.
Par rapport à elle, la beauté humaine ne représente sans doute qu'une formule parmi d'autres."
Roger Caillois, "L'écriture des pierres", 1970
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