lundi 28 avril 2008

15 h 13


Cherche-t-elle à se rapprocher de Dieu, à mieux capter la félicité divine qu'il a promise à chacun ?
Que fait-elle là avec son ordinateur, devant cette église, entre les morts dans leurs sarcophages de pierre protégés par le grillage, et les vivants, piétons qui s'écartent, dubitatifs, le regard interrogateur. A quel royaume appartient-elle ? Elle vit, survit, se débat, le froid de la pierre l'attire, tropisme du repos, du noir tombal. Tropisme de l'oubli, du renoncement.
Elle navigue, de liens en liens, au hasard, sans but, noie le vide de sa vie dans le vide encore plus vaste des mondes virtuels, s'isole de plus en plus des vivants, des bien vivants. Elle le sait, sa vie n'est pas là, dans cet univers électronique qui ne laisse aucune place à l'humanité et aux sentiments, aux frôlements des corps, aux doigts qui s'enlacent et se lient. Il l'a déliée. Elle le sait mais s'y réfugie. Depuis peu, elle collectionne les échantillons de parfums qu'elle achète et vend sur un site de vente aux enchères. Immense casino permanent où se croisent des millions d'anonymes. Cet anonymat, la froideur des messages pré-rédigés, lui conviennent. Simple relation commerciale. Elle achète et vend. Elle ne sait pas pourquoi. Pour meubler le temps, pour combler le vide. Elle n'y cherche rien, ne garde que quelques pièces rares, pour les laisser à son fils, elle espère qu'il en fera des souvenirs, quand elle ne sera plus. Son fils qui lui rappelle que c'est onze minutes de moins à chaque cigarette qu'elle allume.
Sa vie est derrière désormais, elle le sait, s'acharne à faire vivre l'espoir dans la solitude de sa carapace. Il est là, mais elle pressent qu'il ne reviendra pas. Elle ne s'habille plus, c'est devenu un simple automatisme, se surprend parfois à porter des vêtements qu'elle ne se souvient pas d'avoir enfilés, l'idée même d'être belle lui est désormais étrangère. Dans quels yeux se verrait-elle belle quand ils sont si peu souvent présents, quand elle ne parvient plus à les surprendre ?
Elle renonce à l'idée même de la chaleur des corps, des peaux qui s'éveillent du contact de l'autre, du creux de l'épaule qui se donne, de l'être aimé qu'on étreint chaque matin.
Elle a cru retrouver son corps et il semble s'échapper plus encore. Le désir s'écrit, le désir se dit, mais elle sait que le désir se vit. Irrépressible, il porte, il transporte et mène à l'Autre. Il arrive qu'ils partagent des heures, des jours, parfois une semaine. Elle vit. Elle revit. Elle y croit et s'y voit. Plus rien ne lui semble alors impossible, elle est elle, enfin, pleinement, attentive à lui comme au bonheur qu'elle ressent. Elle se sent capable de construire, elle le souhaite, le demande, le désire. Elle se voit la force d'avancer. Elle avance vers le jour, l'heure, où elle le verra repartir, vers la séparation. Elle sait où est son bonheur, puisqu'il lui arrive de le vivre, immense et serein. Il la rend heureuse, elle peut enfin se montrer amoureuse. Elle sent qu'elle ne le rend pas assez heureux.
Elle lui a pardonné comme elle lui a demandé pardon. Elle n'attendait pas de rédemption, elle voyait le salut dans la reconstruction, dans les projets qu'elle ferait avec l'homme qu'elle aime. Il ne veut pas de projets.
Elle se réfugie dans le monde virtuel, elle ne chercher personne, elle ne cherche même plus à remplir le vide de sa vie puisqu'elle sait où est sa vie, elle se réfugie dans un monde où il n'y a pas de coups, où l'absence d'attentes fait que l'on n'y reçoit pas de coups. Elle se protège des coups désormais.
Elle repense à ses désirs d'enfants, comme fruits d'un amour, elle repense aux serments échangés qui sont devenus douleurs quand ils ont été brisés, elle repense à l'avenir, aux avenirs qui s'éloignent quand elle reste assise au bord du temps qui passe. Elle ne veut plus souffrir d'être celle par qui tout cela est impossible. Elle se sait autre. Mais elle sait qu'on ne change ni les peurs ni les regards.
Elle s'enferme, se recroqueville, dans l'attente. On ne peut rien entreprendre dans l'attente.
Elle éteint son ordinateur portable, regarde s'y afficher un noir tombal et le referme avec un silence de sarcophage. Elle prend le temps de se relever. Elle n'est pas pressée de reprendre la traversée du vide de l'attente dans l'épaisseur du silence solitaire.
Elle n'est plus nulle part chez elle.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup la photo et le texte qui l'accompagne.. un bel ensemble, vraiment :::

Anonyme a dit…
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