mardi 13 octobre 2009

Le Che m'a tuer

 
 



Le Che a tué l'ex-gauchiste que j'ai été, ce pro-révolutionnaire idéaliste et romantique qui jusqu'au début des années 1990 s'agitait pour faire bouger ses contemporains.
A ce titre, Che Guevara était pour moi, comme pour beaucoup, l'icône d'un esprit révolutionnaire et humaniste, le Robin des Bois latino-américain, le Mandrin de la jungle cubaine, le Tobin de la redistribution des terres.
Bref, un modèle. L'image d'un communisme à visage humain.

C'est ainsi que j'ai regardé récemment Che, 1 et 2, de Söderberg, en compagnie d'une jeune femme, trop jeune pour que la "Chute du Mur" ne représente autre chose qu'une première tentative d'échappée adolescente de chez Papa-Maman un soir de pleine lune pour que l'adrénaline soit à son comble, le portrait de Guevara un simple flocage très fashion-tendance, et pour qui l'esprit révolutionnaire se borne à se reparfumer avec un flacon de démonstration aux Nouvelles Galeries en gueulant "J'emmerde le grand capital" au vigile avant de se ruer sur les moins 20% du jour sur la nouvelle collection Kenzo.
Je fis ainsi preuve d'une grande indulgence, convaincu que la fibre révolutionnaire, même embryonnaire, ne doit pas se trouver entravée, et qu'à la moindre remarque désobligeante de ma part sur sa trop faible conscience politique, elle risquait de claquer la porte pour rejoindre une soirée mousse ou t-shirt mouillé, or j'attendais autre chose.

Ainsi donc, le Che m'a tuer. Autant le premier opus véhicule l'image du héros qui berça ma jeunesse au temps où Harlem Désir était encore noir et pas encore pote avec DSK, où la mode était au keffieh palestinien et pas au foulard Prada, autant le second épisode est décevant.

Il est beau, le Che. Maigre, élancé, il avance dans la jungle cubaine avec une retenue qui manque à Rambo dans la forêt vietnamienne, il est intelligent, il sait comment attaquer une caserne sans faire trop de victimes, comment convaincre les paysans de soutenir des guerilleros.

Il est bon et juste. Aux ados qui veulent se joindre à lui, il leur impose d'apprendre à lire et à écrire. Il interdit le pillage, le viol, la torture, et quand il prononce une condamnation à mort, c'est uniquement pour ceux qui détroussent les paysans et leurs filles. A ceux qui rejoignent la Havane à bord d'une rutilante américaine confisquée à des partisans de Batista, il intime l'ordre de faire demi-tour et de faire le trajet par leurs propres moyens, à pied s'il le faut.
En bon french doctor, bien avant Bernard Kouchner, il soigne les pauvres et les indigents, extrait d'un coup de pince à épiler l'asticot qui fouaillait l'œil d'un gamin cubain, non sans préciser qu'il s'agit là d'une manifestation des méfaits du capitalisme sauvage.

Il est beau, il est faillible, il souffre d'asthme, il est homme, il est bon, intelligent, humain, il ne boit pas, mange très peu, dort peu, il ne (baise) pas même cette jeune femme qui tient à être son aide de camp, il est franc, intègre, sincère, il ne fume que des cigares bio et cubains, il....

Puis voilà l'opus 2. Et là, franchement, ce n'est plus le même homme. On dirait Hamster Jovial et ses Louveteaux, un reportage sur un camp scout filmé par Jacques Rivette en 12 images/seconde, la peur et la menace qui étaient présentes dans le premier, laissent place ici à la morne installation d'un camp dans lequel la lutte contre l'ennui remplace la lutte contre de colonialisme capitaliste, le Che prend une hachette et construit une tente, un banc, une table, dans une forêt qui ressemble davantage à la forêt du Quercy (sans les truffes), ils meurent de faim et de soif alors qu'on semble voir de l'eau et de la nourriture disponibles à chaque pas.

Bien sûr, le Che qui progressivement se transforme en Jésus illuminé doté d'une barbe qui ferait pâlir d'envie Oussama, le Che reste bon, et même quand il oublie sa Ventoline au camp, il déclare qu'il n'est pas près de risquer la vie d'un homme pour sa propre santé, mais bof.

Il donne sérieusement l'impression de perdre les pédales, d'attendre ce qui ne vient pas, de s'emm... et nous aussi. Ce ne sont pas les Boliviens qui vont le sortir de son apathie latino-américaine. Parce que franchement, si les Espagnols ont découvert les Amérindiens avec les Boliviens pour premiers contacts, on comprend qu'il ait fallu convoquer une commission de spécialistes à Valladolid pour déterminer si oui ou non, les Boliviens étaient des hommes ou des animaux.
Ils ne sont heureusement pas nombreux, mais dotés d'une conscience politique proche de celle du lama (pas le Dalaï, qui lui parcourt la planète en robe orange pour qu'on retienne son engagement, non la bestiole locale qui crache et broute la barbe du capitaine Haddock), ils sont fourbes, prêts à vendre père, mère et guerilleros pour une poignée de maïs, ils sont sales, on dirait une caricature de notre progéniture après une semaine de camping sauvage, ils ne semblent pas comprendre le langage articulé, et même le parti communiste de La Paz ne comprend rien à l'importance et à la portée de leur lutte.
On finit par apprécier les soldats des services spéciaux américains qui se bougent un peu dans cette torpeur tropicale. Enfin de l'action.

Seul le passage éclair de Régis Debray, que l'on retrouve ensuite emprisonné en ville sans qu'on comprenne vraiment comment il y est arrivé donne une touche de civilisation digne de ce nom dans un film qui dégage un tel ennui qu'on n'attend qu'une chose, c'est qu'ils le descendent, le Che, parce que la belle invitée, qui pour tuer le temps, s'est plongée dans son sac à main après l'envoi d'une quinzaine de textos aux copains et copines, et ouf, d'en extraire un Cosmopolitan qui lui permettra d'attendre les premières notes du générique de fin, avant de déclarer péremptoire au cours de l'after "heureusement que tu as abandonné la lutte".

Je crois que la jeune génération est définitivement blasée et perdue pour la révolution.


 
 

2 commentaires:

Fantômette a dit…

Ben la "jeune" c'est elle qui t'a appris la chanson que tu mets en ligne, le chant des partisans et qui a fait tous les concerts de soutien dans sa jeunesse à Arlette, parce qu'elle au moins ne change pas de discours (et que les groupes qui passaient étaient bons).
Franchement je lis même pas cosmo...et moi j'aimais le "che", avant de m'apperçevoir que la Bolivie c'était un peu Saint Martory et de m'endormir en attendant qu'il meure...

Fabien a dit…

Aïe,aïe,aïe, mais qui a dit que la "jeune et jolie femme" était Fantômette ?
Bon, d'accord, je ne regarde pas de film avec une autre qu'elle, mais il faut laisser la place à la fiction, à l'imaginaire, au délire scriptural...

Je corrige, je biffe, je rends à César ce qui appartient à Ceasar : d'accord, Cosmopolitan, c'est moi qui le lit. Et Arlette avait au moins ce mérite, parmi d'autres, c'est de ne jamais, jamais, changer de discours.
Et la fidélité, pour moi, ça compte aussi.