dimanche 20 juin 2010
Faites des pères, faites des mères
Genèse, Ch. 22 Après ces événements, il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit : Abraham ! Abraham ! Il répondit : Me voici !
Dieu dit : Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t'en au pays de Moriyya, et là tu l'offriras en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai.
Sur ce, vous connaissez la suite. Abraham selle son âne, tape Moriyya sur son GPS, part avec deux serviteurs et fait même porter à Isaac le bois qui servira à l'immoler, et quand celui-ci s'étonne que son père ait oublié l'agneau qui doit servir au méchoui, le pater le ligotte genre Petit Gregory, et il faut que Dieu lui même intervienne en lui disant "T'es con mon vieux, c'était une blague et je ne croyais vraiment pas que tu le ferais !" pour qu'Abraham n'abatte pas le poignard sur son fils.
Sur ce, vous connaissez la suite. Isaac sombre dans l'alcool et la drogue, il vit de vols à la tire avant d'être embauché par Goldman Sachs, puis, recueilli par Guy Gilbert, le prêtre des loubards, il finira ecclésiastique, pédophile et proxénète. Guy Tordjman, psychiatre et sexologue qui l'interrogera en prison, dira que ce pique-nique paternel à Moriyya constitue un traumatisme face auquel aucune résilience n'était envisageable.
Rappelons enfin que l'absence de tout sentiment humain permit à Isaac de faire l'objet d'une mesure de liberté conditionnelle après avoir été recruté comme DRH à France Telecom, puis de se faire embaucher par la Société Générale au poste de Jérôme Kerviel qui dut mettre un terme à sa carrière.
N'empêche, si Abraham avait été un peu moins cul-bénit et crédule, peut-être qu'Isaac n'aurait pas eu cette fulgurante carrière d'homme d'Eglise, de délinquant notoire et sexuel, et d'icône de la finance néo-libérale.
Parce que. Voilà.
On appelle ça une parabole, c'est-à-dire une figure littéraire de forme concave qui permet de recevoir le message de Dieu comme la votre vous permet de recevoir Eurosport.
Quelle est donc la morale de cette parabole biblique ?
D'une part, que le monothéisme biblique interdit le sacrifice humain, sauf pour les Noirs, les Arabes, les Kirghizes, les Talibans, les Palestiniens et leurs soutiens étrangers qui tentent de débarquer à Gaza en bateau, se prenant pour les Christophe Colomb des temps modernes.
D'autre part, si le Décalogue impose aux enfants "Tu honoreras ton père et ta mère", la parabole d'Abraham montre clairement qu'un père n'est pas obligé d'aimer son fils.
Or, que dire ?
Je ne suis pas prêtre.
Je n'ai pas prononcé le nom de Dieu.
Je n'ai pas adoré les idoles, à moins que ne soient considérés comme tels le corps de Fantômette et les attributs afférents qui me permettent dans le noir de la distinguer d'une chaise ou du yucca (dans le désordre : seins, fesses, sexe, descente de reins...).
Je ne suis pas golden boy, ni pédophile, ni drogué, ni animateur en titre du "maillon faible", nom de la nouvelle politique de gestion des ressources humaines de France Telecom.
Je n'ai pas trompé ma femme, ni convoité celle de mon voisin (encore que, lorsque je vois jaillir de sa Twingo ses jambes longues et racées...)
Je n'ai pas violé Petit Prince.
Je n'ai pas vendu Petite Princesse à un réseau pédophile.
Les seuls détournements de fonds réalisés en mon nom sont ceux que Fantômette effectue à l'heure du déjeuner quand elle va faire les boutiques avec ses copines et MA carte bleue.
N'empêche que.
Il n'y a plus ni fête des mères, ni fêtes de pères. Pourquoi me direz-vous ?
Ben parce mes parents n'ont plus de fils.
Parce qu'ils auraient bien fait comme Abraham avec son fils, mais que le bois nécessaire à l'holocauste aurait coûté trop cher, et qu'il aurait fallu que j'apporte l'eau pour laver le couteau.
Donc, parce que c'est plus économique, et moins courageux, mes parents ont préféré m'intimer par lettre l'ordre de changer complètement ce que je suis, ou alors, ils demandaient le divorce. Si !
C'est vrai que la lettre était longue, les reproches nombreux et la densité d'humiliations au centimètre carré digne de la densité de population du Zénith le soir du jubilée de Madonna. C'est con, quand même, de vouloir divorcer de ses enfants, aussi décevants soient-ils. Ils auraient dû aller voir le Juge aux Affaires Familiales, ça aurait au moins fait jurisprudence. Et ça l'aurait fait rire. Pas moi.
Un divorce, ça fait mal. Divorcer de ses parents, ça fait mal beaucoup, et longtemps. Parce qu'étant moi-même parent, balbutiant et à mi-temps, je me dis quand même que pour un enfant, s'il y a au moins deux personnes au monde qui doivent le voir comme un chic type ou une fille bien, ce sont ses parents.
N'empêche.
Il faut relativiser la crise œdipienne que peut provoquer un tel divorce, sachant que ça fait quand même 43 ans qu'on faisait chambre à part, que chaque samedi je tentais ma chance et que ce ne sont certainement pas eux qui m'ont appris à dire "je t'aime" (je prends d'ailleurs toujours des cours de rattrappage), et que quelque part, j'aurais pu devenir danseuse au Lido, prof' agrégé ou cosmonaute russe, cela n'aurait jamais été plus important que la varice de la voisine ou le nouveau vélo du voisin.
Donc voilà, parce que tels Abraham, mes parents n'ont pas pu passer Noël avec leurs petits-enfants, pour ne pas laisser le petit voisin seul. Parce que pour notre mariage, mes parents nous ont honoré de leur présence, mais sont les seuls à ne nous avoir laissé ni mot, ni cadeau, ni souvenirs heureux. Parce que Petit Prince et Petite Princesse n'ont plus aucune nouvelle depuis des mois. Parce qu'ils n'ont même pas eu le courage d'appeler leurs petits-enfants pour leur dire que eux aussi devaient payer, et qu'ainsi ils annulaient les vacances prévues. Parce qu'ils ont oublié que leur fils était né un jour, quelque part, et que ce jour s'appelle anniversaire.
Il n'y a plus, donc, ni fête des pères, ni fête des mères.
Parce que je les ai fait père, que je les ai fait mère, pendant trop longtemps.
L'amour n'existe pas. C'est bien dommage.
On ne peut l'apprendre quand est absent d'où il devrait venir. Depuis longtemps. Depuis toujours.
En attendant, j'essaie de me faire père. Aussi un peu, de me faire mère.
Petite Princesse, Petit Prince, Asticot, Calimero, je vous aime, père, demi-père, quart-de-père et père-importe, et vous me faites fier.
Lui sait dire les choses aussi, cliquer ici pour écouter Pères et Mères de Grand Corps Malade.
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