mardi 18 mars 2008

Il regarde sa bibliothèque

Il regarde sa bibliothèque. Son monde, son univers. Sa vie. Les Traces de sa vie. Les reliques. Le reliquat.
Elle parle autant par ses pleins que par ses vides. Par les livres qui le regardent. Par ceux qui ont disparu et ne le regardent plus.
De son enfance, de sa jeunesse, il ne reste rien, pas le moindre Fantomette, pas le moindre Club des Cinq. Rien. Son enfance a tout pris. Ses parents ont tout pris. Trop de déménagements, trop de tris par le vide. Il ne reste rien. Après, il avait le droit d'emprunter des livres. De les emprunter seulement.
Il constitue la bibliothèque de ses enfants. Pour qu'ils en aient une, aujourd'hui, demain.
Sa bibliothèque, comme sa vie, commence au début de l'âge adulte. Sciences humaines, bandes dessinées, peu de littérature. Il avait fait du livre son métier.
Une étape universitaire à la fois brève et riche. Les livres sont là pour rappeler une thèse inachevée. Toujours sur le livre et son commerce. Parce que la vie ne lui a pas laissé le temps de l'achever. Des articles, des thèses dont les fiches de lecture sont pieusement conservées sur le disque dur. Il a été étudiant, assez brillant. De la géo, de l'histoire, de l'éco, de la socio. Les bouquins achetés pour les concours, le Capes, puis l'Agreg'. Au mileu trône, dans la salle du trône, trois exemplaires de son livre, le seul qu'il ait jamais écrit, suffisamment remarqué en son temps pour que le tirage soit épuisé en quelques mois.

Un nombre assez conséquent de polars, parce qu'à certaines périodes de la vie, quand s'évader devient vital, l'intrigue prime sur la qualité de l'écriture. Puis de la littérature, des romans, signe que sa vie avait fini par s'apaiser. Par revenir.
Des guides de voyage, des Routard trop vieux pour être encore utilisables. Mais ils sont là. Inusables.
Des livres soigneusement mis à l'abri, d'un auteur unique, dédicacés, personnalisés, unicifiés, personnifiés. Sanctuarisés.
Des beaux-livres et des livres beaux, de beaux arts et d'arts qu'il trouve beaux.
Ceux qu'il lisait à la naissance de ses enfants, quand ils ne faisaient pas encore leurs nuits. Des livres offerts, cadeaux reçus. Il n'a jamais compris que certaines personnes ne lui en offrent pas, quand ils en manipulaient tant.
Et puis il y a ceux qui manquent. Partages douloureux.
Il y a ceux qu'il a jetés, parce qu'il fallait partir léger, arbitrer, trier, choisir. Ceux qui ont été vendus pour payer une maison trop grande, une décision de justice, un avocat, un procès. Livres anciens, de bibliophilie, la collection de la Pléïade, sauf Cohen-Gracq-Kafka, tout ce qui pouvait avoir une valeur marchande. A l'unité ou en gros. Vrai, il aurait préféré les offrir. Il savait à qui.
Elle a voyagé, cette bibliothèque. Il a plusieurs fois cru la construire, l'organiser, l'enrichir. En faire la bibliothèque d'un couple, d'une famille. Pour longtemps.

Une bibliothèque, c'est une vie. Il regarde sa vie. Et les livres qui manquent. Et les rayonnages qui lui restent.

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