mardi 6 juillet 2010

La forme d'une ville (petit cours (pas sérieux) de géographie)

L'heure est grave. Pas de photos personnelles aujourd'hui, états d'âme ou poésie maternelle.
Pour beaucoup, début juillet marque l'ouverture de la chasse aux coups de soleil, d'une place où étendre sa serviette et des mycoses génitales qui même en plein décembre nous rappellent les vacances.
Pour nous autres, pauvres travailleurs de l'édition scolaire, c'est la reprises des recherches et premiers ébats scriptatoires.

A l'heure d'internet, de Google Maps, et du Gps, nous avons le pouvoir de maîtriser l'espace, de nous déplacer d'un point A à un point B les yeux fermés et les mains dans les poches, sans nous perdre, sans nous tromper, et en plus, de voir le monde d'en haut. La géolocalisation devient un enjeu financier et sociétal.

Or, les cartes elles-mêmes nous montrent que cet espace est vécu, perçu, et représenté différemment selon ceux qui vivent ce même espace. Je ne sais pas si Julien Gracq connaissait San Francisco en Californie, mais lui qui avait vécu une partie de son enfance à Nantes et qui non seulement avait oublié d'être con, mais en plus était géographe et savait (bien) écrire, nous en livre une démonstration dans La Forme d'une Ville, évocation de Sa ville de Nantes, retrouvée, réinventée à l'occasion d'une visite à l'âge adulte.

Au cours d'une récente recherche, j'ai "browsé" une partie de flickr (à la souris, de la main gauche, c'est facile).
Or, donc, à quoi ressemble San Francisco en Californie pour moi qui n'y suis jamais allé ?


Cette carte des sols nous permet d'imaginer  ce que pouvait être l'espace occupé aujourd'hui par San Francisco avant l'arrivée des Européens, et donc de la civilisation et de la variole.
Une péninsule marécageuse, essentiellement argileuse (jaune et rouge), rocheuse au sud (vert), peuplée d'Amérindiens analphabètes et indolents tout juste préoccupés de mesurer le niveau de la mer. En effet, comme le démontre le film l'Age de Glace, les Amérindiens sont des descendants de Russes sibériens qui, profitant de la dernière glaciation, passèrent les pieds au sec et la tête dans la chapka le Détroit de Béring, avant qu'un cycle de réchauffement ne coupe définitivement la route de la vodka qui courait de Vladivostock à Anchorage, plongeant ainsi les Amérindiens dans l'abstinence d'alcool et la mesure quotidienne du niveau d'une mer qui se refusait à descendre pour libérer ladite route pendant 11.000 ans, jusqu'à l'arrivée des Européens, du whisky et des chercheurs d'or.

Les conclusions du géographe : la baie de San Francisco possédait un sens, une signification, qui nous échappent totalement, fautes de traces matérielles et écrites de ces sauvages qui vivaient au milieu des moustiques en attendant la fin de l'inondation.

Accessoirement, cette carte nous rappelle également que San Francisco est construite sur une planche à savon appelée sables et argiles dans une zone sismique, ce qui nous permet de passer sans transition à la carte suivante, celle des destructions probables en cas de nouveau séisme équivalent à celui de 1906, totales en rouge, et je vous raconte pas en noir.


Les conclusions du géographe : depuis que Jésus a dit "tendez l'autre joue", l'Homme est un con qui aime à montrer qu'il est vraiment con, qui reconstruit San Francisco à San Francisco, des maisons sous le niveau de la mer en Vendée et des parkings dans le Var.



Sur cette carte dont nos plus fidèles lecteurs connaissent le principe, on voit clairement que le SF des touristes (leurs photos postées sur Panoramio apparaissent en jaune et en rouge) n'est pas celui des indigènes (en bleu) : le Central Business District, la baie de San Francisco, l'île d'Alcatraz, le Golden Brige, bref les touristes s'adossent à la ville pour photographier la mer !

Les conclusions du géographe : les différentes communautés qui fréquentent un même espace en ont des représentations différentes. Le Golden Gate Bridge n'a pas la même signification, la même valeur symbolique et d'usage pour le banlieusard qui y patiente dans les bouchons, le touriste, le peintre mexicain et clandestin chargé de son entretien, le suicidaire debout sur le parapet ou le prisonnier d'Alcatraz. 


Le plan du réseau de bus fait ressortir une particularité des villes américaines, le plan quadrangulaire, les rues qui se croisent à angle droit, et la présence des parcs, ici en jaune (Présidio, Golden Gate). Tout cela traduit l'omniprésence de la morale protestante étasunienne qui autorise le port des armes à feu dans des rues rectilignes pour être adapté au tir, mais oblige à se bourrer la gueule en sous-sol, ainsi que l'omniprésence de la nature, chère à Henry David Thoreau, apôtre et père d'une vision patrimoniale de la nature et de sa protection, dans le genre Nicolas Hulot, version messianique, mais 150 ans plus tôt et qui lui, fréquentait régulièrement un coiffeur.


Parcs et plan quadrangulaire, autant de caractéristiques que l'on retrouve sur cette vision d'artiste qui fait ainsi l'économie de tout apprentissage de figuralisme et de tout cursus aux Beaux Arts. Piet Mondrian a fait encore mieux et plus simple au milieu du XXe siècle avec New York City et New York City II,  se limitant aux seuls éléments fonctionnels de la ville.


On peut d'ailleurs regretter que certains artistes n'en restent pas à une vision conceptuelle de la ville quand on voit le résultat de certaines tentatives réalistes. On remarquera cependant la permanence du conformisme même au sein du club dessin de la MJC de Telegraph Hills, puisque ces représentations sont toujours orientées vers le Nord, avec le Golden Gate Bridge en haut.

 San Francisco, vision graphique de Kurt Immer, facteur californien interné depuis 34 ans au Central Psychiatric Hospital.



Oeuvre de l'ancien président Ronald Reagan souffrant aujourd'hui d'Alzheimer et qui ne sait plus s'il s'agit d'un appel au secours, d'une évocation des neurones et synapses ou d'une carte postale envoyée par son successeur Georges Bush.


Les conclusions du géographe : chaque individu, chaque groupe, chaque communauté, dispose d'une représentation fonctionnelle de l'espace, liée à la valeur d'usage des lieux qu'elle fréquente, qu'elle traverse, qu'elle aménage, qui lui permettent d'aller au boulot, faire les courses le samedi, de passer à la banque ou aller faire réparer la tondeuse. Chez le commun des mortels, cette appropriation individuelle et fonctionnelle de l'espace permet d'éviter de se présenter à la banque pour remplir le frigo ou d'arriver au bureau avec la tondeuse en panne.


Sans le savoir, lorsque Fantômette, présentement allongée à mes côtés, joue à élever des pingouins virtuels en maintenant son ventre au chaud sous son ordinateur portable plutôt que de réclamer la chaleur de mon corps qui à son grand désespoir comme au mien ne saurait produire de pingouins, Fantômette se trouve là, au coeur de l'arc technopolitain de la baie de San Francisco où se situent 19 des 25 premiers serveurs internet au monde, au coeur de la Silicon Valley, ce qui provoque toujours un regain d'intérêt des élèves lorsque le prof' aborde la question et qu'ils s'attendent à le voir projeter l'image d'une poitrine féminine à la plastique avantageuse et parfaite comme l'est celle de Fantômette qui me désespère à continuer à élever ses pingouins à mes côtés !!!
Cela dit, lecteurs, lectrices, vous qui êtes confortablement avachis chez vous à lire ou à parcourir ces lignes, torse nu devant votre webcam, vous êtes en même temps là, au coeur de la Silicon Valley.

Les conclusions du géographe : chaque espace, aussi petit soit-il, est relié au reste du monde par le jeu des échelles, par un ensemble de réseaux plus ou moins discrets (on donne plus facilement son numéro de téléphone que sa page Facebook et plus encore que son code Meetic), matériels (autoroutes, aéroports...), immatériels (informations, coups de fil à maman), financiers (narco-trafiquants du Nasdaq et du Cac 40 à San Francisco, totalité des mafias apatrides à Monaco...).




Ci-dessus, la ville de San Francisco telle qu'elle est perçue par l'Association des Culs-de-Jatte Californiens, important lobby qui milite auprès du gouverneur pour qu'il en arase les collines.

Les conclusions du géographe : même à l'heure de l'immatériel et de l'instantané, l'espace géographique reste "rugueux", doté de reliefs, atouts et contraintes qui s'opposent différemment aux individus et aux communautés. Ainsi, un chauffeur de taxi n'aura pas la même compréhension de la rugosité du relief de San Francisco qu'un cul-de-jatte non motorisé.


Patrie des bab's et des hippies, San Francisco est aujourd'hui la capitale des bobo-colos du monde entier. Il s'agit ici d'une cartographie des rejets de CO2 par quartiers. Peut-être est-il utile de rappeler ici que c'est cette carte, comparée aux deux suivantes, qui permit à Barack Obama la victoire, la Maison Blanche devenue Noire et une notoriété internationale digne de Nelson Mandela, mais lui au moins, avait souffert.


La carte ci-dessus montre le peuplement blanc de San Francisco, celle-ci dessous son peuplement Afro-Américain, voire pire, Noir.
Or, toute la campagne d'Obama a reposé sur la comparaison honteuse et doctrinale de ces trois cartes tendant à prouver que les Blancs rejettent davantage de CO2 que les Noirs qui eux, économisent sur le gaz, l'électricité, les voitures qu'ils ne peuvent s'acheter, la bouffe et l'éducation des enfants.
Yessss, we can



Les conclusions du géographe : l'espace est enjeu de pouvoir, et les représentations de cet espace font elles-mêmes l'enjeu d'appropriations objectivées pour légitimer certains discours. Souvenez-vous ainsi que notre actuel président de la République affectionnait particulièrement les banlieues et grands ensembles lorsqu'il était représentant pour une grande marque de nettoyeurs haute pression.

Cette carte des meurtres entre 2007 et 2009 parue dans la presse donne désormais lieu à un tourisme de faits divers sous forme d'un jeu de piste dans lequel les participants découvrent la ville au sein d'un immense Cluedo géant.


Autre forme de jeu de piste, moins concret, moins en prise avec la réalité quotidienne, mais tout aussi gore, il s'agit ci-dessous d'une représentation mentale de San Francisco au sein des communautés gothiques et anarcho-satanistes de la ville.

Cette vision de la ville s'oppose radicalement à celle diffusée au sein de la communauté yogiste de la ville présentée ci-dessous.
Patrie du communautarisme et des lobbies en tout genre, les Etats-Unis sont le pays des pros et des antis. Ci-dessous, San Francisco vue par les anti-végétariens. Si, si !


 Ces représentations mentales de l'espaces, le partage de codes sociaux, les référentiels de comportements et les discours politiques fondent la distinction de base entre Nous et les Autres, Nous et les Etrangers, les Bons et les Méchants, Eux, et Nous.


Les conclusions du géographe : l'appartenance sociale et spatiale fondent l'individualisation au sein du groupe, les représentations socio-spatiales, l'appartenance et la reconnaissance, comme les tags qui marquent certains territoires de bandes urbaines ou comme les discours de Brice Hortefeu qui sont un ramassis de conneries.

 C'est en Californie que ces distinctions, ces ségrégations sociales mais aussi, spatiales, ont donné naissance à un mouvement politique et social très puissant aux States, le mouvement Nimby, "not in my back yard", grossièrement, "pas dans mon jardin", qui autorise tous les débordements environnementaux, mais chez le voisin, pourvu qu'eux-même en soient épargnés.



 Les conclusions du géographe : l'espace est un enjeu de pouvoir, et l'appropriation, la défense, la diffusion des représentations socio-spatiales sont elles-mêmes des enjeux, et des pouvoirs. Ce qui justifie des idées comme "La France à les Français de France", "Plus Français que moi tu meurs", ou "Les étrangers chez eux", ce qui est complètement contraire à la logique cartésienne qui fait la grandeur de la civilisation européenne, parce qu'un étranger est, par définition, celui qui n'est pas chez lui.
Mais le banquier, l'ingénieur de la Silicon Valley, l'ado gothique ou le skater, le cul-de-jatte et le chauffeur de taxi, le maître de yoga, le policier et le sismologue, qui tous vivent, travaillent et se reproduisent à San Francisco et sont donc "chez eux", n'ont pas le même "chez eux", ce qui en fait tous des étrangers.

1 commentaire:

Fantomêtte a dit…

Ah! Si j'avais eu de tels cours de géographie, j'aurai sans doute aimé..