lundi 5 juillet 2010

L'Envol


Il y a des lieux où il faut être vu pour exister.
Reconnaissance sociale et statut individuel sont à ce prix, depuis que l'Homme est Homme et que la femme est un bien que l'on convoite ou que l'on exhibe, c'est selon. Ainsi donc, je m'en suis déjà ouvert sur ces pages, il semble que Fantômette et ses copines se soient données pour mission à la fois de me dégrossir un peu, comme King Kong à qui il faut apprendre que non, on ne viole pas toutes les blondes qui bronzent sur les terrasses de Manhattan, mais aussi de se jouer entre-elles du fossé générationnel qui me sépare de leur âge si lointain que je ne me souviens pas l'avoir connu quand je les vois glousser ensemble en me regardant du coin d'un œil amusé et complice. Fossé qui s'apparente davantage au Grand Canyon qu'aux divergences d'intérêt qui peuvent séparer Nicolas Sarkozy, Eric Woerth et Lilianne Bettancourt. C'est peu dire.

Pas plus tard que la semaine dernière, l'une de ces amies, profitant de l'absence de Fantômette (c'est bon Juliette, j'avais promis que ça resterait anonyme) m'interrogeait en aparté sur "les vrais effets du Viagra". Question qui me prit de cours, d'une part parce que Juliette ne m'adresse habituellement pas la paroles avant d'avoir atteint un taux d'alcoolémie supérieur à 2 grammes, alors qu'elle semblait alors relativement à jeun. D'autre part, le sens même de la question m'échappait. Fantômette se serait-elle vantée de connaître avec moi un bonheur et une plénitude sexuels tels qu'elle les exprimerait à ses copines alors que jamais, au grand jamais, elle ne l'exprime ni devant, ni dessous, ni avec moi ? Ou faut-il que Juliette, appliquant les codes et typologies relationnelles actuelles ne sache où me placer, n'imaginant pas que je puisse m'émouvoir devant un corps de femme ou à l'écoute du dernier opus de Carla Bruni autrement qu'après absorption de sildenafil.

Nonobstant, jusqu'à maintenant, ce petit jeu du "papy, ce soir on te sort" s'était toujours fait hors de la présence active des enfants.
Jusqu'à un récent soir où Fantômette et l'une de ses copines décidèrent de nous sortir, Petit Prince et moi.  Doué d'une patience infinie et vouant à Fantômette un respect passionné et une confiance aveugle, celui-ci s'empressa même d'aller troquer son sempiternel pantalon de survêtement sale et informe contre un jean's avant de se retrouver assis le premier dans la voiture, ce qui confirme là le caractère exceptionnel de l'événement quand on connaît l'indolence des adolescents et l'absence particulière de réactivité et d'empressement de Petit Prince qui l'apparente génétiquement davantage à l'opossum qu'à son propre père.

Ainsi donc, il est actuellement follement tendance à Toulouse d'aller prendre un verre ou de dîner à l'Envol, les pieds dans le sable, genre private Toulouse-Plage, avec Mojito au prix dissuasif, vigiles déguisés en Men in Black qui vous indiquent où garer votre voiture, cerbères à l'entrée pour trier les invités, talkie-walkie à la ceinture, entrée en chicane qui interdit de voir de l'extérieur, et là...




une plage de sable fin qui s'achève sur les pistes d'atterrissage. Qu'on se le dise, il s'agit d'un aérodrome, pas de l'aéroport de Blagnac, le bronzage est naturel et pas le résultat du décollage des A380 et autres charters low cost. Des bains de soleil, des tables basses, des bars tout autour, dans un style syncrétique qui relève à la fois des paillottes corses avant l'intervention des gendarmes, des gargottes caribéennes et de la côte normande, le tout très Saint-Tropez, avec en toile de fond la perspective sur le périph' (invisible), la fusée Ariane et la colline de Jolimont.



Sauf que, derrière son mutisme adolescent et sa frange soigneusement non soignée, Petit Prince observait. Et je ne voudrais pas qu'il tire de cette expérience des conclusions hâtives sur les codes sociaux, vestimentaires et les rapports de séduction qui s'apparentent ici à la ronde du pigeon autour de sa pigeonne, parce qu'il n'y a rien de plus con qu'on pigeon tournant autour d'une pigeonne. Mis à part un paon faisant la roue, mais au moins, c'est beau.

- d'abord, il existe des cafés, terrasses et débits de boisson dans lesquels on peut entrer avec autre chose que des tongs et claquettes griffées Prada ou Dolce Gabbana. Cela dit, pour avoir observé un spécimen féminin tentant une traversée en talons aiguilles, on aurait dit la même tentant l'ascension de la dune du Pyla en sabots.
- ensuite, toutes les filles ne pas sont blondes. La preuve, les deux qui m'accompagnaient.
- en d'autres lieux, certains êtres humains, mâles ou femelles, ont des yeux qui ne sont pas cachés par des lunettes opaques qui rivalisent en taille et en forme pour un gigantesque remake du film "La Mouche".
- on peut aussi reconnaître une femme autrement qu'à la couleur de son string.
- il existe aussi des robes et des jupes qui s'arrêtent à mi-cuisse ou au genou, et pas seulement à la hauteur du clitoris, à propos duquel il devient d'ailleurs urgent que je me documente pour que nous parlions un jour "d'homme à homme" puisque Petit Prince est désormais lancé sur ses quinze, toute acné dehors et pilosité naissante au vent.
- tous les hommes ayant atteint ou dépassé mon âge ne portent pas nécessairement une espèce de costard brillant destiné à refléter, au choix, le maquillage ou le string de la voisine.
- au café, on n'est pas obligé d'arpenter les allées et de faire le tour des tables en parlant fort dans son iPhone, seul accessoire digne du lieu,  genre  "regardez, j'ai une pomme dans l'oreille !".
- passé 18 ans, on n'est pas obligé de porter un bermuda Guess ou Kaporal, une chaîne en or digne d'une grosse cylindrée et un tee-shirt moulant et griffé avec pectoraux de silicone et faux paillasson pectoral intégré.



Enfin, enfin, Petit Prince, quand Fantômette t'invite en un tel lieu où les mojitos sont à huit euros et le patatas bravas à quinze euros, on ne se contente pas de manger son pain quand on commande des tapas. Il reste beaucoup à faire pour ton éducation.

2 commentaires:

Fantômette a dit…

N'empêche c'était bien cet apéro plage en face de chez soi, même si le public n'est plus de notre âge et les mojitos trop chers!

Fabien a dit…

Y a pas d'âge pour les mojitos à l'Envol