vendredi 25 juillet 2008

Södöme et Gomörh



Un lecteur chagrin écrivit ici un jour sur un ton sarcastique que j’avais une vie palpitante.
Ben non.
Ben si.
Pas plus tard qu’hier, une lectrice de ce blog, que nous appellerons JF pour ne balancer personne, JF pour Jeune Femme, pas pour John Fitzgerald, donc hier, JF, au demeurant jolie et d’agréable conversation, m’a fait une demande de mariage en bonne et due forme. Oh, pas une demande enflammée, non, une demande toute simple et désinterresseé. JF souhaiterait m’épouser à la veille de mon trépas annoncé pour toucher les droits d’auteur sur la logorhée que j’épands sur ce blog.
Un mariage en viager, en quelque sorte.
Qu’elle sache d’emblée qu’à titre exceptionnel, elle peut demander un mariage à titre posthume. Qu’elle se renseigne néanmoins auparavant sur les conditions de transmission des mes biens et valeurs, on ne sait jamais.
Nonobstant, je voudrais rappeler à JF qu’il y a un cheminement vers le convolage en justes noces marqué d’étapes aussi importantes que celles du chemin de croix du Puy-en-Velay. Qu’elle ne se décourage pas pour autant.

Tout d’abord, la présentation de JF aux enfants.
- Mes enfants, je vous présente JF, dont j’entends faire mon épouse légitime à brève échéance.
En fait, tout ce qu’on entend dans ces cas là, ce sont les cris et les pleurs des enfants qui sombrent dans une profonde dépression à l’idée que JF puisse les déposséder de leur Pôpa. En fonction de l’âge et du mode éducatif choisi, les enfants peuvent également s’enfermer dans un rejet et un autisme adolescent dont ils ne sortiront pas avant la fin du cycle œdipien à l’approche de la quarantaine.

Puis vient la présentation de JF aux parents, futurs beaux-parents potentiels et assermentés. En fait, ils ont déjà en main la fiche de police depuis que vous avez annoncé au téléphone que vous viendrez avec JF : profession, profession des parents, situation familiale, enfants ou pas enfants, situation professionnelle, CDI ou CDD ou mieux encore fonctionnaire, 13e mois ou RMI, locataire ou propriétaire… Et la dernière question, qui semble sans intérêt à leurs yeux
- Elle est jolie, au moins ?
Auparavant, vous avez bien précisé que non, ce n’est pas la même JF que la semaine dernière, ce qui a pour effet de solliciter la mémoire de Pôpa et Môman dans le cadre de la prévention d’Alzeimer, qui de toute façon gafferont en l’appelant du prénom de celle d’il y a trois semaines, si, celle qui était si bien, tu sais bien, cadre dans la banque avec sa Smart ForTwo et permettra néanmoins à Môman d’être fière et de dire
- Moi, mon Fils, il plaît aux femmes.
L’explication en tête à tête suivra sur le trajet du retour après un café en famille écourté pour cause de subite migraine.

Vient ensuite la présentation de moi aux parents de JF, ce qui, selon la JF en question, le stade œdipien plus ou moins achevé entre JF et sa Môman et le degré d’engagement de JF, peut prendre de quelques semaines à quelques années.
Discussion purement formelle, puisque eux aussi ont une fiche de police, pendant que futur beau-papa potentiel sombre dans le Pastis à l’idée de voir partir sa fille et que belle-maman potentielle observe le gendre potentiel derrière des lunettes de soleil aussi opaques et réfléchissantes que les vitres d’une voiture présidentielle en pensant très fort
- Cette fois-ci, j’espère que c’est le bon.

Puis vient l’étape décisive, celle qui détermine un avant et un après, c’est la première sortie chez Ikéa. Ca passe ou ça casse. Etape longtemps remise, parce qu’on veut encore vivre quelques temps de ses illusions avant de découvrir vraiment JF, la vraie JF, dans son milieu naturel. Et un jour, on sait qu’il faut y aller.
D’abord, l’invitation s’avère davantage une convocation.
- Le mieux, ce serait que tu passes me chercher à la sortie du boulot, comme ça on pourrait y aller tous les deux, avec une seule voiture.
Bien sûr, c’est la meilleure heure, je vais fusiller mon après-midi à vider le coffre de ma voiture, à rabattre les sièges et à me taper les bouchons de la sortie des bureaux. Super.
Un petit bisou furtif pour ne pas ternir le maquillage refait de neuf juste avant, puis en route pour les bouchons, parce que de toute façon, on ne pouvait pas y couper. Le demi-Lexomil préventif commence à faire effet, les bouchons s’écoulent sans encombre, le parking ne paraît pas encombré même s’il faut se garer au 4e niveau après trois quarts d’heure de vaine recherche, l’escalier monumental qui permet de passer du monde des vivants au show room du goût suédois passe sans encombre non plus. 18h30
De toute façon, à partir de là, on en prend pour des heures. A essayer ensemble des canapés sur lesquels on aimerait pouvoir s’endormir, à visiter des chambres et à regarder JF s’assoir et sautiller discrètement sur les lits en se disant qu’IKéa pourrait sans problème passer un contrat de partenariat avec Meetic et le Planning Familial.
Mais on n’est pas là pour se laisser aller à ses pulsions autres que consommatrices. De toute façon, Ikéa me rappelle que son parquet Tundra est emprunté chaque semaine par 35.000 personnes, et que je ne suis pas le premier.
La liste s’allonge, et on se dit que ce soir, même si on n’est pas invité à passer la nuit, on sera au moins cordialement invité à monter à l’appartement de JF, plusieurs fois même, parce que les 78 kilos de la bibliothèque Lïnden en 2 colis ne vont pas franchir seuls les quatre étages sans ascenseur.
Pour passer le temps pendant que JF farfouille parmi les merdouilles savamment disposées en une esthétique mise en scène colorée et mise en lumière, on se prend à lire les étiquettes, et là encore, on se demande s’ils ne cherchent pas tout bonnement la provocation. JF tourne et retourne le vase seventies Braquemär pendant que je reste assis sur le fauteuil Missionär.
Je fais mine de m’interesser à la cuisine Södöme pour prendre discrètement le restant de Lexomil avant d’entreprendre la descente de l’escalier, pas celui qui mène à la porte et au monde des vivants, non celui qui mène au libre-service. Jusque là, tout va bien, le test est positif, pas d’engueulade, et il n’est que 20h30. Mais je sais que ce qui nous attend sera long et difficile. Objectif : remplir le caddie.
Ce qui devrait prendre une bonne heure au bas mot, avant la troisième étape, celle du dépôt, où il faudra parvenir à identifier la case A24 pour en extraire les 78 kilos de la bibliothèque Lïnden. Mission accomplie. Vous avez remarqué comme les caddies Ikéa sont particuliers : vides, ils roulent tellement bien qu’on peut faire la course comme en skate. Chargés, ils se mettent à rouler de travers, obligeant à une torsion constante de la colonne vertébrale.
Le passage aux caisses est notablement retardé parce que JF regrette le petit chevet qu’elle a vu au dessus, si le petit vert et carré, mais merde, essaie de te souvenir. Recherche dans le catalogue pendant que je me repose assis sur les cartons Lïnden avant d’établir qu’il se prénomme Märre et se trouve en F8, mais que le guéridon Fätig finalement préféré se cache en C32.
Le reste de la soirée se passe de manière conventionnelle. Retour enjoué aux côtés de JF dont les yeux pétillent à l’évocation de ses multiples achats dans une voiture qui ne roule plus que sur ses deux roues arrière sur un périphérique notoirement moins encombré à 22h00. Les quatre étages sont là, les cartons aussi.
- Je suis sûre que tu aurais aimé une bière fraiche, mais j’en ai pas.
Tant pis, je sais ce qui m’attend maintenant. La porte de la chambre de JF reste fermée. Les cartons aussi, entassés dans le salon. Mais je sais que si je veux que la porte de la chambre de JF s’ouvre à moi, il faudra d’abord ouvrir les cartons. Et monter la bibliothèque. Tel James Bond, j’empaume ma visseuse-dévisseuse et officie dans mon rôle d’homme. JF me dit que je suis beau. Mais je sais qu’elle parle de celui qui monte sa bibliothèque en transpirant sous son T-Shirt tout en essayant de ne pas éveiller la colère des voisins par du bricolage nocturne, pas de moi.
1h20 Parce qu’une bibliothèque vide, c’est pas beau, parce que JF brûlait d’envie voir son intérieur installé plus que de moi, il a fallu ranger les livres, déplacer le canapé…
La porte de la chambre de JF s’ouvre, mais il est tard, il faut se lever tôt, “tu dois être fatigué” m’entends-je dire et un chaste sommeil s’impose.

Donc, chère JF, un certain nombre d’étapes s’imposent avant d’accepter un contrat de mariage en viager.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Et bien que d'aventures!
Il manque des étapes j'en convient:
-vacances avec belle maman à Etretat
-avoir une carte Gold comme tout bon fonctionnaire qui sait s'y prendre
-une route de vacances conduit par Mme sans crier une seule fois
JF
PS: Revoir d'urgence la définition de "chaste"

Fabien a dit…

D'abord, on m'a dit, "tu devrais te remettre à écrire", puis on m'a fait remarquer que je parlais ici beaucoup de sexe ces derniers temps. D'où ce retour subit à la Chastetë, ce qui, dans le positionnement commercial Ikéa, désigne le matelas à eau circulaire de 2,40 mètres de diamètre dans le genre de ceux sur lesquels échoue Mireille Darc en robe fourreau noire à dos nu plongeant dans les films des années 1970, et Fonctionär une gamme de coussins de sièges disponibles en différents coloris au rayon libre-services.
Bëlmäman, en attendant l'ouverture du bal au Casino de Deauville, est un set de voyage comprenant bouchons d'oreille et masque de repos disponible aux caisses.
Bon wikend et bonnes wacances à toi.

fan a dit…

Photo superbement trouvée pour illustrer le texte ! J'ai bien ri avec cette tranche de vie.
(Cet homme doit être bien amoureux pour envisager une telle aventure...)

Fabien a dit…

Après consultation de mon équipe d'avocats, je dois préciser, comme pour certains films, que "toute ressemblance… serait pure coïncidence ;-)
De plus, certaines scènes sont très incomplètes et feront un jour l'objet de développements en fonction de l'humeur et du temps : le choix d'un meuble en commun, la longueur d'une facture pour l'achat d'une cuisine intégrée chez Ikéa, l'épouse "volontairement" égarée dans le dépôt entre les case A23 et T12…
Autant de moments qui marquent la vie du couple dans le microcosme du consumérisme suédois.

Lautreje a dit…

J'ai adoré la sortie chez Ikéa ! Et dire que j'en ai un si près de moi et je n'y vais jamais !! Je devrais, ne serait-ce que pour observer ...

Fabien a dit…

Merci, c'est chouette de voir que quelques vieilleries écrites il y a bien longtemps.
Et "observer" est une excellente raison d'aller chez Ikéa pour remplir le coffre de la voiture ;-)