jeudi 15 juillet 2010

Envole-moi

Retour à l'Envol, ce bar-plage-branchouille, nouvelle plongée dans la fourmilière des kékés toulousains.

Elle n'avait pas trente ans quand avait sonné le nouveau siècle.
Fille du siècle précédent, trop jeune pour avoir écouté les paroles de Philippe Laville qui chantait en 1984 "Femme libérée", elle avait fait sienne cette liberté, affrontant ce nouveau siècle en ayant connu plus d'hommes qu'elle ne comptait d'années. Bien plus.
Elle s'était donnée, certains lui avaient donné, l'avaient aimée, plus souvent viande que chair ou même corps, rarement femme. Elle s'était donnée sans vraiment savoir ce qu'elle attendait en retour, ignorant que deux ans plus tard Philippe Laville chantait "Elle tricote des pulls pour personne". Elle s'était abîmée à se donner toujours davantage, sans savoir ce qu'elle cherchait ni où elle allait, trichant d'une apparente aisance avec tous comme un masque de métal reflétant l'égo et la supériorité de ceux à qui elle s'était donnée et qui avait cru la posséder.
Au risque de s'en dégoûter. Au risque de se dégoûter.

Personne en fait, ne l'avait jamais possédée.
Même pas celui, le seul, auquel elle avait voulu se donner.
Elle le savait maintenant qu'il était parti. Peu importait en fait qu'il soit parti emporté par une maladie ou sur un coup de tête, elle savait maintenant qu'il était trop tard. Qu'elle l'avait perdu.

Elle lui en voulait, Dieu qu'elle lui en voulait. Elle lui en voulait de la confiance qu'il avait su mettre entre eux, de cette confiance qui lui avait permis de glisser un doigt sous sa carapace de femme libérée, d'avoir su caresser par dessous la chitine sur laquelle tant avaient frotté leur peau sa vraie chair qu'elle avait entrevue avec lui, elle lui en voulait, maintenant qu'il n'était plus là, de ne pas avoir osé arracher une à une les plaques qui lui couvraient le corps et le coeur en autant de boucliers rutilants qu'aucun avant lui n'avait su l'aider à déposer pour qu'elle puisse, enfin, se reposer.

Elle lui en voulait, elle l'aurait tué elle-même, là, maintenant, des doutes qui l'assaillaient lui quand elle refermait sur elle sa carapace à peine froissée par peur d'être vulnérable des sentiments, des failles qui, elle le savait maintenant, ne la rendaient pas faible, mais au contraire si belle à ses yeux.

Des yeux qu'elle lui aurait arrachés là, maintenant, de ses propres ongles, pour ses caresses qu'elle n'avait jamais acceptées, ou si peu, elle l'aurait tué de cette confiance en elle et en son corps qu'il n'avaient jamais voulu la contraindre à accepter, la forcer à admettre. Il préférait la construire plutôt que de la lui imposer, réclamant confiance, abandon, laisser-aller, désir, autant de choses qui ne peuvent s'imposer ou s'acheter. Qui ne peuvent que se donner ou s'offrir.

Elle l'aurait tué, là, maintenant, de ne pas avoir su se laisser aller. Elle l'aurait tué elle-même pour baiser, au sens propre, son corps qui lui manquait tant. Elle l'aurait tué, là, maintenant, pour lui trancher la tête et la promener sur l'ensemble de son corps et l'enfouir entre ses jambes pour des caresses qu'elle avait toujours refusé. Elle qui n'avait jamais donné que son sexe, elle voulait maintenant donner son corps.

Elle l'aurait tué, là, maintenant, parce que ceux qu'elle appelait "les mecs" ne l'avaient désirée que comme objet de conquête ou d'exhibition, pour son corps qu'ils réduisaient en objet, non pour la femme qu'elle est. Pas même pour son corps de femme.

Elle l'aurait tué de ne pas l'avoir rendue jalouse, de ne pas avoir su, elle, se découvrir enfin femme, et non corps ou chair. Elle l'aurait tué pour cette lingerie dont il voulait la parer, qu'elle voyait faire d'elle un objet sexuel quand il voulait seulement aimer et chérir la femme.

Elle l'aurait tué, là, maintenant, pour le garder, pour garder celui qui avait su lui montrer qu'elle était une femme, et vivre enfin sa vie de femme.

Elle savait maintenant.
Elle l'aurait tué pour enfin être femme.









 

7 commentaires:

Fantomêtte a dit…

Euh...tu comptes partir?

Tatiana a dit…

J'aime ce texte, très bien écrit et bien ressenti !!

Fabien a dit…

Merci Tatiana, parce qu'il y a quand même des sujets difficiles à aborder...

La suite demain Fantômette, parce qu'il sera là encore demain. C'était juste pour dire "avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'il ne soit parti, avant demain".

'Tsuki a dit…

Un texte qui m'a beaucoup touché, parce qu'il exprime pas mal de choses que je ressens à l'heure actuelle, sur mes relations avec les garçons (j'attends encore de rencontrer un homme, en fait... Quoique... Nan, je crois que j'attends plus, maintenant) ; une vision assurément instructive.

Et les clichés qui l'accompagnent forme un tel contraste qu'il faut bien quelques secondes pour comprendre l'illustration qu'ils proposent...

Fabien a dit…

Ben d'abord, 'Tsuki, si j'en crois ma femme, les "mecs, c'est tous des enculés", mais faut pas que le dise, sinon, elle va encore me traiter en rentrant... ;-)

PhotOrléans a dit…

Bonjour,

Ce n'est pas Philippe Laville qui chantait "Femme libérée" mais Cookie Dingler. C'est d'ailleurs à peu près la seule chanson connue d'eux.
Bien cordialement.

Eric

Fabien a dit…

Ben m... alors, le pire, c'est que j'avais vérifié mes sources sur internet !!!
Merci du tuyau